Aprés l´affaire Dreyfus, voici l´affaire Yucos, au suivant (Khodorkovsky).

Publié le par elie

31.5.05

Libération: Un businessman formé au Konsomol

 
A la tête de la première fortune russe avant son arrestation, Mikhaïl Khodorkovsky s'était mis à défier ouvertement Vladimir Poutine.

par Lorraine MILLOT

«Ma vocation n'était pas d'être un dissident! Je suis un homme d'affaires!» En juillet 2003, alors que les poursuites s'intensifiaient contre lui, Mikhaïl Khodorkovski avait lui-même souligné l'absurdité de son nouveau rôle de martyr. De fait: il est aujourd'hui la victime d'un arbitraire politique qui auparavant lui avait permis d'assembler la plus considérable fortune de Russie, estimée à 15 milliards de dollars avant son arrestation.

Né à Moscou en 1963 de parents ingénieurs, Mikhaïl Khodorkovski s'est lancé dans les affaires en tant que militant des Komsomol (les jeunesses communistes). Il a commencé petit, par l'importation de jeans ou d'ordinateurs, mais il a surtout su nouer très tôt des contacts hauts placés dans la hiérarchie du parti communiste et au Kremlin. Sa banque Menatep, qui fut l'une des toutes premières banques privées autorisées en URSS, a servi à placer à l'étranger les fonds de ministères ou de la compagnie d'Etat chargée des exportations d'armes. Tout cela se passait à l'époque en étroite connivence avec certains officiers du KGB, qui ont couvé ces premiers businessmen soviétiques.

Grâce aux premiers millions amassés par Menatep, Khodorkovski est l'un des oligarques de la cour de Boris Eltsine, qui profitent le plus des privatisations. En 1995, il met la main sur le groupe pétrolier Ioukos, payé au prix dérisoire de 350 millions de dollars. De Ioukos, il fait l'un des groupes pétroliers russes les plus efficaces. Mais Khodorkovski se fait d'abord connaître surtout pour son génie des montages financiers, qui permettent de filouter créanciers ou actionnaires minoritaires et de faire disparaître un maximum d'argent off-shore. «Micha est un manager extrêmement dur, reconnaissait sa deuxième épouse, Inna, dans une récente interview. Son principe pour apprendre à nager à quelqu'un: jetez-le dans l'eau! S'il surnage, c'est qu'il est bon. Sinon, qu'il se noie.»

A partir de 1999, Khodorkovski avait pourtant tenté de se convertir en manager à l'occidentale, jurant de faire de Ioukos le groupe «le plus transparent» de Russie. Fort de ses appuis aux Etats-Unis, c'est là qu'il avait commencé à dénoncer les magouilles politico-financières et la corruption ambiante au Kremlin. Il s'était mis à défier ouvertement Poutine, annonçant qu'il finançait désormais plutôt les partis d'opposition. Pour parachever sa mue, il s'apprêtait à vendre 25% de Ioukos à une major américaine. Le bruit courait déjà qu'il briguerait la place de Poutine en 2008. C'est à ce moment que le Kremlin l'a fait arrêter, en octobre 2003. Aussi digne et entêté qu'il était ambitieux, il a depuis assuré, du fond de sa prison: «Je ne regrette rien».
 
Publié par L'Observatrice à 22:27
 

Le Nouvel Obs : Portrait Mikhaël (sic!) Khodorkovski

 


L'un des oligarques russes les plus doués de sa génération, Mikhaël Khodorkovski s'est attiré les foudres du Kremlin en prenant trop d'indépendance dans le secteur pétrolier et en tenant tête à Vladimir Poutine. Son jugement qui devait être prononcé lundi 16 mai est suspendu jusqu'à mardi.
L'ex-patron du groupe pétrolier russe Ioukos s'est enrichi en faisant prospérer une compagnie acquise lors des privatisations controversées des années 1990. Il se retrouve 10 ans plus tard sur le banc des accusés.
Arrêté le 25 octobre 2003, Mikhaël Khodorkovski a été inculpé de sept chefs d'accusation, dont ceux d'escroquerie et de fraude fiscale "à grande échelle et en groupe criminel organisé". Le Parquet a requis contre lui dix ans de réclusion avec confiscation de ses biens. L'homme d'affaires de 41 ans a dénoncé une dernière fois, devant le tribunal qui a clos l'examen de l'affaire le 11 avril, un dossier "monté de toutes pièces".
Son groupe a été pratiquement démantelé en décembre dernier. Les huissiers ont vendu sa principale filiale productrice qui est finalement retombée dans l'escarcelle d'un groupe public, dirigé par un proche de Vladimir Poutine.

La plus grosse fortune de Russie

Mikhaïl Khodorkovski est, avant son arrestation, la plus grosse fortune de Russie (15 milliards de dollars). Tout indique qu'outre la mise au pas de Ioukos "pour l'exemple", il est devenu l'"homme à abattre".
En plus d'envisager un mariage entre Ioukos et la major américaine ExxonMobil, Khodorkovski ouvre ses vastes possibilités financières à l'opposition libérale. Il revendique le droit et le devoir du grand capital de s'impliquer dans la vie politique du pays. "Nous sommes face à un choix réel, entre l'autoritarisme et la société civile. Et nos forces sont plus ou moins égales", déclare-il à l'automne 2003.
Mikhaïl Khodorkovski, père de trois enfants, "ne regrette pas de ne pas avoir quitté le pays. Il savait parfaitement ce qui l'attendait", déclare dernièrement sa mère Marina. Partir "à l'étranger, nous ne l'avons jamais envisagé (...) Notre patrie est ici", souligne sa femme Inna lundi 16 mai dans le quotidien Izvestia.
"Surdoué", "charmeur", "ambitieux", "impitoyable" sont les traits de caractère que lui prêtent sans distinction ses adversaires et ses partisans.
Ses détracteurs lui reprochent d'avoir mangé au même "râtelier" que tous les oligarques, ces hommes d'affaires richissimes proches du Kremlin sous la présidence de Boris Eltsine. Et d'avoir pratiqué dernièrement un lobbying outrancier, notamment auprès des députés, profitant de sa puissance financière pour dicter des décisions au pays.

Valeur boursière multipliée par 120

Ses supporters reconnaissent qu'il a fait de Ioukos la "meilleure compagnie du pays". Sa valeur boursière est multipliée par 120 entre 1998 et 2003 alors qu'il l'a acheté pour une bouchée de pain (350 millions de dollars) en 1995. Khodorkovski en détient un tiers du capital. Pour ses partisans, il est le premier à comprendre la nécessité de faire prévaloir la transparence dans sa compagnie, à l'encontre du climat d'opacité générale qui persiste dans l'économie russe, tout en investissant des millions de dollars dans des infrastructures sociales.
Ses parents ingénieurs ont été très présents pendant le procès. Quadragénaire de bonne éducation, à l'élégance discrète, Mikhaïl Khodorkovski a une enfance ordinaire dans la capitale russe.
Il est diplômé de l'Institut de chimie de Moscou et du prestigieux Institut d'études économiques Plekhanov.
Cadre des Jeunesses communistes (Komsomol) et membre du Parti communiste d'Union soviétique pendant un temps, Khodorkovski n'échappe pas aux deux passages obligés pour qui a de grandes ambitions au pays des soviets. Quand vient la Perestroïka, il gagne rapidement quelques millions de dollars dans des commerces divers.
En 1990, il fonde la banque Menatep qui laisse en plan ses créanciers étrangers lors de la crise financière de 1998. Mais cette banque deviendra par la suite une gigantesque holding coiffant des dizaines de sociétés dont l'ex-numéro un du pétrole russe Ioukos.

(Le Nouvel Obs, 16.05.2005)
 
Publié par L'Observatrice à 18:02
 
1.5.05 

Le Monde : Leonid Nevzline tente d'organiser l'opposition russe en exil

 
Assis dans le salon de sa villa au nord de Tel-Aviv, entouré d'une collection de statuettes japonaises représentant des samouraïs, Leonid Nevzline mène son combat contre Vladimir Poutine. Agé de 45 ans, cet oligarque russe vit depuis août 2003 en Israël, où il s'est réfugié pour fuir la justice russe. Moscou a émis à son encontre un mandat d'arrêt international pour "complicité de meurtre" dans le cadre de l'affaire Ioukos, la compagnie pétrolière russe que le Kremlin a entrepris de démanteler et de transférer à des structures contrôlées par l'Etat.Vêtu d'une chemise déboutonnée et de jeans, l'allure juvénile, Leonid Nevzline n'a pas de mots assez durs pour parler du régime de Vladimir Poutine. Il accuse le Kremlin d'être au coeur du "système de corruption qui sous-tend tout l'Etat russe, jusqu'au plus haut niveau" et d'avoir monté de toutes pièces le procès contre son ancien associé, Mikhaïl Khodorkosvki, l'ancien patron de Ioukos, afin de mettre la main sur sa compagnie.

AMBIANCE CALIFORNIENNE
Leonid Nevzline est devenu, au fil des mois, le chef de file des oligarques russes en exil qui ont juré la perte de Vladimir Poutine. Sa fortune, évaluée en 2003 à 2 milliards de dollars par le magazine Forbes, a subi le contrecoup des poursuites judiciaires et des saisies d'actifs visant Ioukos, mais elle reste conséquente. Leonid Nevzline contrôle aujourd'hui, à lui tout seul, 67 % du capital de la holding Menatep, enregistrée à Gibraltar, qui détient plus de 60 % de Ioukos.
Dans la quiétude du quartier balnéaire aisé de Hertsélia Pitouach, noyé dans les pins, les lilas et les palmiers, Leonid Nevzline passe le gros de ses journées pendu au téléphone avec Moscou et avec d'autres hommes d'affaires russes, exilés en Israël ou à Londres. Il reçoit régulièrement des émissaires venant de Moscou, dans cette maison à l'ambiance californienne. Les baies vitrées s'ouvrent sur un jardin avec piscine, et le garage abrite une luxueuse décapotable.
Leonid Nevzline multiplie les tribunes dans la presse russe et cherche à fédérer des forces politiques contre le pouvoir de Vladimir Poutine. En Israël, il compte comme soutiens l'ancien dissident Natan Chtcharanski, "un des leaders mondiaux de la pensée politique" , selon lui, et Benyamin Nétanyahou. Il a investi dans le secteur pétrochimique israélien et a fondé un institut portant son nom, le Centre de recherches Leonid Nevzline pour les juifs de Russie et d'Europe de l'Est, qui veut venir en aide aux immigrés arrivant en Israël.
A 4 000 km de là, son ancien partenaire, Mikhaïl Khodorkovski, croupit depuis octobre 2003 dans une cellule de la prison Matrosskaïa Tichina de Moscou, en attente du verdict de son procès pour "évasion fiscale à grande échelle" , qui doit être prononcé le 16 mai. Mikhaïl Khodorkovski risque dix ans de prison. Les deux hommes, liés par une vieille amitié, s'étaient rencontrés à la fin des années 1980, pendant le "boom" des coopératives d'étudiants autorisé par Gorbatchev, qui avait jeté les fondements du nouveau capitalisme russe. "On a été au coeur de cette révolution des mentalités" , dit-il avec fierté.
Les deux partenaires avaient ensemble développé une banque, Menatep, qui allait bénéficier de nombreux transferts de fonds du budget fédéral russe et remporter, en 1995, des enchères contestées pour acquérir la société Ioukos. Ils avaient, au passage, financé la réélection de Boris Eltsine, en 1996. Ioukos s'est ensuite hissé au rang du numéro un du pétrole russe, avec une capitalisation d'environ 40 milliards de dollars. La chute de ces oligarques et le démantèlement de leur empire sont des faits marquants de la présidence de Vladimir Poutine.
Qui Leonid Nevzline tient-il pour responsable de cette disgrâce ? La version la plus couramment mise en avant en Russie met en cause des personnalités issues du KGB, entourant M. Poutine, qui chercheraient à rétablir l'autorité de l'Etat dans le secteur des hydrocarbures afin de renforcer le poids du pays sur la scène mondiale. Leonid Nevzline complète cette explication en évoquant un scénario fait de nouvelles luttes de clans, où le principal gagnant serait non pas l'Etat russe, mais l'un des oligarques les plus mystérieux de Russie, Roman Abramovitch, 38 ans, classé cette année "première fortune du pays" par Forbes, avec 15 milliards de dollars.
En 2003, l'année où les ennuis judiciaires de Ioukos ont commencé, Roman Abramovitch avait tenté de faire fusionner sa société pétrolière, Sibneft, avec Ioukos. Le projet a fait long feu.
"Je sais qu'Abramovitch a été le principal artisan de la campagne contre Ioukos" , affirme Leonid Nevzline dans un entretien accordé au Monde, jeudi 28 avril, alors que le président russe effectuait une visite officielle en Israël. "Il voulait mettre la main sur Ioukos. Grâce à ses relations passées avec la "famille Eltsine" et son amitié avec Poutine, dont il est, je pense, un partenaire financier, Roman Abramovitch contrôle les services du procureur général de Russie, avance l'homme d'affaires exilé. J'ai moi-même entendu Roman Abramovitch dire, au début du pouvoir de Poutine, que "tout était arrangé" : le secteur du gaz -le géant étatique Gazprom- irait aux gens de Poutine, tandis que lui, Roman, aurait le secteur du pétrole."


RELENTS D'ANTISÉMITISME
Il fut un temps où Leonid Nevzline participait activement à la vie publique en Russie, comme membre du Conseil de la Fédération russe (élu en 2001) et président du Congrès juif. Le portrait qu'il dresse de la Russie de Vladimir Poutine est celui d'un pays où des postes au sein des institutions d'Etat sont mis en vente par le Kremlin "au plus offrant" , et où des grosses entreprises donnent des enveloppes d'argent à des "membres du Parlement, des forces de l'ordre, du parquet" , pour parvenir à leurs fins. "La société Rosneft, entièrement dirigée par Igor Setchine, qui est un proche de Poutine, a payé pour la campagne contre Khodorkovski au sein des médias et dans les organes judiciaires russes" , ajoute-t-il.
Leonid Nevzline estime clairement ne plus avoir grand-chose à perdre en se livrant à de pareilles accusations. La holding Menatep, qu'il contrôle, a cessé toute activité en Russie et a investi dans les hydrocarbures et les télécommunications en Europe centrale. Leonid Nevzline se dit prêt à financer des opposants politiques au régime de M. Poutine en Russie et appelle de ses voeux un "changement de régime" , même s'il juge peu probable un scénario semblable à ce qui s'est produit en Ukraine et en Géorgie. Il dit s'appuyer sur un "bon réseaux de contacts" au Etats-Unis.
Devenu en 2003 citoyen israélien, Leonid Nevzline coordonne ses activités avec d'autres oligarques russes en exil. Parmi eux : ses amis actionnaires de Ioukos, Vladimir Doubov et Mikhaïl Broudno, qui vivent à Tel-Aviv ; l'ancien magnat de groupe médiatique russe, Vladimir Goussinski, ainsi que Boris Berezovski, qui a obtenu le statut de réfugié politique à Londres, et un proche associé de ce dernier, l'homme d'affaires Badri Patarkatsichvili, réfugié en Géorgie. Tous ces millionnaires recherchés par la justice russe sont d'origine juive, ce qui fait dire à Leonid Nevzline, qui se revendique "sioniste et russophile" , que la politique du Kremlin serait animée de forts relents d'antisémitisme. "Poutine n'a pas d'amis en Israël" , insiste-t-il.


(Lu dans Le Monde, le 30.04.2005)

Signalons que par l'intermédiaire de ses avocats, Mikhail Khodorkovski a publié le 4 mai le texte suivant :
"En réponse aux demandes que les journalistes m'ont adressées, par l'intermédiaire de mes avocats, de commenter les récentes interventions publiques de Léonid Nevzline, je voudrais dire la chose suivante:
Dans une société libre chacun à le droit d'exprimer ses idées, aussi je ne commenterai pas les déclarations me concernant de mon ami et ex partenaire d'affaires, bien que, je ne le cache pas, je sois étonné. Je ne veux pas devenir la cause de confrontations dans la société, et j'exprimerai moi-même mon point de vue, car malgré les conditions de vie spécifiques qui sont les miennes en ce moment, je suis à même de me faire une opinion sur les questions essentielles du développement de la Russie, et de me faire entendre de la société et des média. Je ne me considère pas coupable, aussi suis-je décidé à défendre ma liberté par des moyens légaux. Je demande à mes amis et ennemis, amis ou étrangers, de ne pas se servir de mon nom comme d'un étendard pour des projets politiques ou para-politiques don je n'approuve pas le contenu."
 
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